A la Maison Mère, nous lisons au réfectoire la vie de « Sœur Marie-Marthe Chambon, Religieuse de la Visitation de Saint-Marie de Chambéry (1841-1907) », Chambéry, 1928. Le livre est écrit par les Religieuses de la Visitation de Chambéry.
Nous avons lu ce beau chapitre (chapitre XI, pp. 97-105) sur la dévotion de Sœur Marie-Marthe à l’Enfant-Jésus qui nous montre combien cette dévotion engendre l’esprit d’enfance et de simplicité.
Soeur Marie-Marthe et Jésus-Enfant
Il serait difficile d’exprimer l’ardent et naïf amour de Sœur Marie-Marthe pour son cher petit Jésus, comme de reproduire, aussi bien qu’on le voudrait, le délicieux commerce de leur intimité.
Jésus-Enfant se rendait visible pour elle chaque matin à la Sainte Communion ; mais cela ne pouvait suffire à leur mutuel attachement… Jésus se plaisait en la compagnie habituelle de cette âme dans laquelle, comme en un cristal limpide, pouvaient se refléter la pureté et la simplicité de sa Divine Enfance. Sous l’écorce rustique de notre chère Sœur, il y avait, en effet, quelque chose de si pur, de si frais, de si candide !
« Sa confiance est simple et tout enfantine”, écrit la Supérieure de Sœur Marie-Marthe. “Elle va à Notre-Seigneur comme un tout petit enfant au meilleur des Pères.”
C’est avec un charme réel et beaucoup d’intérêt que l’on découvre ce nouveau trait caractéristique de sa physionomie morale.
A s’en tenir à l’aspect principalement mis en relief jusqu’ici, on n’aurait de l’âme de notre Sœur qu’une connaissance fort incomplète : un peu austère dans sa ‘mission’ de prière et de réparation, l’élue de Jésus Crucifié est, par ailleurs, un touchant exemple d’exquise intimité avec Dieu, la Très Sainte Vierge, les Saints… et tout spécialement avec Jésus-Enfant.
Sœur Marie-Marthe partage la vie humiliée, souffrante, pénitente, rédemptrice de Jésus-Crucifié. Mais aussi, en la société de Jésus-Enfant, elle mène une vie d’enfance, simple, joyeuse, dilatée.
Ces rapports, commencés dès le bas-âge, devinrent, dans le Cloître, d’une familiarité ravissante: pour les choses matérielles comme pour les choses de l’âme.
Que de fois, à bout de forces, ou limitée par le temps, implora-t-elle le secours de son petit Jésus !
Un jour qu’elle était souffrante et encore à jeun vers une heure de l’après-midi, Sœur Marie-Marthe délibérait en elle-même si elle devait chercher une auxiliaire pour son ouvrage, très en retard : “Bon Maître, vous voyez où j’en suis, que faut-il faire ?…” Aussitôt, un radieux enfant de six ou sept ans se présente à elle : “Si tu le veux, Je viendrai à ton aide !… – Oh ! oui, bon Maître, je compte sur Vous !… – Je suis ami de la paix, reprend l’Enfant-Dieu, et ennemi du trouble… Je veux que tu te tiennes auprès de Moi.”
Avec Jésus, et sous son divin regard, tout est bientôt achevé : table desservie, vaisselle, balayage du Chœur et du Réfectoire, préparation du goûter des élèves… A deux heures, notre Sœur était libre pour la lecture. Jésus demeura près de son épouse jusqu’à trois heures, où Il disparut, la laissant dans une joie céleste. A cinq heures, l’heureuse Privilégiée, entrant au Chœur pour l’Oraison, retrouva son cher petit Jésus.
Parfois, avec une bénignité incroyable, Jésus-Enfant offrait Lui-même ses services : “Commande-Moi, et Je ferai ce que tu voudras. – Eh bien ! mon bon Maître, aidez-moi à faire mon Réfectoire …” Et Sœur Marie-Marthe voyait l’Enfant divin devant elle, faisant le nettoyage et préparant les tables…
“Je veux que tu continues à tout faire pour Moi”, lui disait-Il. “Ne demande personne pour t’aider dans ton emploi, alors Je me ferai Moi-même ton aide.” Et Celui qui a pour serviteurs les Anges se mettait à l’évier !”
“Le temps passe alors avec la rapidité de l’éclair, tandis que le cœur de la trop favorisée Converse s’embrase d’amour pour son ‘divin petit Aide, si beau… si aimable…’. Ce coin de la maison devient un Ciel : les Anges sont là, visiblement aussi, pour faire la cour à leur Maître, et notre Sœur trouve que la vaisselle est trop tôt achevée.”
“Toujours naïve, elle croit que, si quelque Sœur venait à ce moment, elle verrait l’Enfant-Jésus lavant les assiettes et elle, les rinçant… alors, elle ferme bien la porte, afin que personne ne se doute de ce qui se passe en ce lieu béni.” (Manuscrit.)
De fait, les Sœurs Converses étaient fort étonnées et ne pouvaient comprendre comment Sœur Marie-Marthe arrivait à se tirer seule d’affaire dans un emploi si chargé… On sait maintenant où elle cherchait du secours !
On sait aussi que se tenaient là d’amicales conversations. Jésus disait : “Nous faisons la Sainte Enfance, nous deux… les deux petits enfants ensemble… – O bon petit Jésus ! que je vous aime !…”, répondait-elle… Et Jésus semblait heureux : “Quand tu Me parleras ainsi, lors même que tu ne Me verras pas, Je serai encore plus content, parce que Je t’écoute toujours.”
En se retirant, Il lui demandait avec tendresse : “Mon épouse, n’es-tu pas contente de Moi ?… Est-ce que Je ne t’aide pas bien ?…”
Non moins gracieuses les scènes qui se déroulaient dans l’enclos du Monastère.
C’était pour notre Sœur un moment délicieux que celui de la récolte des fruits. Elle s’entretenait continuellement et tout haut avec le Bien-Aimé de son âme.
Avant d’aller au jardin, elle disait avec simplicité : “Mon petit Jésus, venez avec moi travailler, puisque je ne puis pas rester au Chœur avec Vous…”
Parfois, de grand matin, ‘son cher petit Jésus’ l’avertissait Lui-même : “Il est l’heure, hâte-toi !…”
Elle se hâtait, portant au jardin deux immenses corbeilles. Jésus l’avait accompagnée… Elle le voyait, ramassant les fruits avec elle ! A eux deux, la besogne est bientôt faite et les paniers pleins de belles prunes !… Mais, qu’ils sont lourds !… Sœur Marie-Marthe ne peut les soulever : “Bon Maître, je ne puis pas porter ces gros paniers toute seule… mais si Vous m’aidez, cela ira bien.” Son divin petit Aide ne la laisse pas dans l’embarras et tous deux reviennent au Monastère, partageant le fardeau.
Si nous passons aux choses de l’âme, même familiarité.
Certaines Retraites annuelles furent spécialement ensoleillées par la compagnie de Jésus-Enfant.
“Pour faire ton examen, disait, en 1878, le céleste Directeur, il faut considérer ce qui, dans la conduite, n’a pas été conforme à Moi.” Et l’adorable Enfant, dévoilant et montrant son Cœur, expliqua à son épouse comment “dans ce petit Cœur étaient renfermées toutes les connaissances qu’Il avait, étant plus grand, ses Plaies, sa Passion… et toutes les grâces qu’Il lui avait faites jusqu’ici”.
L’heureuse âme voyait avec ravissement le Cœur du doux Emmanuel et “le petit doigt sur le petit Cœur de Jésus”. “Pour croire à toutes ces choses, ajoutait le bon Maître, il faut avoir la simplicité de l’enfant, qui croit tout ce qu’on lui dit sans raisonner avec la sagesse humaine. Un enfant se tient confiant auprès de son père et de sa mère, parce qu’il sait qu’on l’aime bien et qu’on lui pardonne tout !… Je te demande de ne pas perdre le temps de ta Retraite à chercher tes fautes, mais de l’employer à Me considérer.”
Et, au dernier jour de la solitude de 1885, où la présence de Jésus s’était faite plus tendre encore : “Si tu ne Me quittes pas, assurait le Divin Enfant, Je ne te quitterai jamais.”
C’est à la Sainte Communion surtout que Sœur Marie-Marthe doit aller comme un petit enfant à la table du Père :
“Si tu as faim, disait Notre-Seigneur à sa Servante, viens te nourrir ; mais pour cela, il faut que tu sois petit enfant… L’âme-enfant est une âme sans malice, innocente, simple et confiante. Quand l’âme est dans cet état d’enfance, elle peut venir à Moi tout droit: il n’y a aucun obstacle.”
“Le cœur de cette heureuse fille ne peut penser qu’à son Jésus”, écrit la Supérieure.
“La vue du Divin Enfant, travaillant avec elle et la suivant pas à pas, ne la quitte presque jamais. Elle nous dit avec simplicité : “Ma Mère, je suis aussi près de Lui que je suis près de vous.” (Manuscrit.)
Les jours de fête étaient ordinairement marqués, pour notre Sœur, de quelques faveurs spéciales de la part de Jésus-Enfant : “Me voici, disait-Il ; c’est un jour de fête, Je viens te réjouir, mon épouse ! Apprends de ce petit Enfant qu’il faut devenir semblable à Lui, toute petite enfant. Voilà la grâce que Je te fais… Reconnais mes dons… regarde aussi la misère et ne la perds jamais de vue. – Comment voulez-vous que je ne regarde pas ma misère, bon petit Jésus ?” s’écriait l’heureuse Privilégiée. “Mais soyez ma lumière, car je ne puis tenir ma promesse sans Vous !”
Fille de Saint François d’Assise et de Saint François de Sales, Sœur Marie-Marthe goûtait, plus qu’aucune autre, peut-être, la fête de Noël, si chère à ses deux Patriarches. L’Enfant-Jésus s’y découvrait à elle avec des charmes toujours nouveaux et une beauté si merveilleuse que les heures s’envolaient sans qu’elle en eût conscience ! Elle se livrait sans contrainte aux joies de cette contemplation, et le matin la retrouvait au Chœur, à genoux, dans la même position que la veille, n’ayant rien entendu ni compris, sinon les tendresses du Divin Nouveau-Né.
Une année, elle eut la vision de toute la Cour angélique et des Bienheureux entourant la Crèche : “Ma fille, pour jouir de Moi, il faut que tu sois comme ceux que tu vois là… c’est-à-dire que la terre ne te soit plus rien, mais que ton cœur et ta pensée soient toujours avec Moi.”
Une autre nuit de Noël, ce fut la Très Sainte Vierge qui apporta Jésus à l’enfant de ses prédilections : “Ma fille, Je te le donne ; mais il faut être petit enfant comme Lui… Les petits enfants veulent être avec les petits enfants.”
Et l’adorable Emmanuel, mettant le comble au bonheur de notre Sœur, murmurait ces ineffables paroles : “Quand Je n’aurais qu’un cœur comme le tien pour y prendre mes délices, alors que tous les autres seraient ingrats, Je ne regretterais pas d’être venu sur la terre…”
Sœur Cécile Marie